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Jean Jacques Urvoas

maître de conférences en droit public et député

Sécurité et liberté : la loi sur le renseignement en question

jeudi 19 novembre 2015 20h00

 


Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois, membre du Parti socialiste, député de la première circonscription du Finistère (Quimper), en 2015 il a été le rapporteur du projet de loi relatif au renseignement


Les objectifs de sécurité après les événements de janvier dernier justifient-ils une surveillance massive des populations au risque de porter atteinte aux libertés ?
La loi sur le renseignement pourra-t-elle empêcher de nouveaux attentats ?

La loi relative au renseignement est une loi française, examinée par le Parlement à partir du 19 mars 2015 et promulguée le 24 juillet 2015.

Cette loi vise à renforcer le renseignement en France. Elle prévoit la mise en place de plusieurs mesures, telles que l’installation chez les opérateurs de télécommunications de dispositifs , « boîtes noires », pour détecter les comportements suspects à partir des données de connexion, mais aussi des mécanismes d’écoute et d’espionnage pour les personnes suspectées d’activités illégales.

Le projet de loi a reçu de nombreuses critiques de la part de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et du Conseil national du numérique (CNNum) qui évoque la « surveillance de masse ». Plusieurs associations (Ligue des droits de l’homme, Amnesty International, Reporters sans frontières …) critiquent un projet jugé « liberticide ».

De même, le Syndicat de la magistrature souligne que « tout le dispositif est placé entre les mains de l’exécutif évitant le contrôle par le juge judiciaire de mesures pourtant gravement attentatoires aux libertés individuelles qu’il est constitutionnellement chargé de protéger ». Ainsi, le juge anti-terroriste Marc Trévidic estime en avril que ce nouveau projet de loi est « une arme redoutable si elle est mise entre de mauvaises mains ».

Enfin, Quadrature du Net, une association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, estime que le projet de loi « met en place la surveillance généralisée et légalise les pratiques des services de renseignement attentatoires aux libertés fondamentales, sans aucune garantie sérieuse contre les dérives potentielles ».

Avec Jean-Jacques Urvoas nous essayerons de répondre aux questions que nous nous posons sur cette loi :

  • Comment se met en place cette surveillance massive des données et des conversations privées sur Internet et sur la téléphonie mobile ? Qui en donne l’autorisation ?
  • Quelles sont les garanties apportées lors du débat parlementaire pour éviter des dérives sécuritaires : commission de contrôle indépendante, place du pouvoir judiciaire, protection de certaines professions (ex. : journalistes)… ?
  • Quels moyens supplémentaires seront alloués aux services de renseignement ?
  • Le recours aux techniques de renseignement n’est-il pas trop étendu ! Comment définir la limite des pratiques « illégales » ?

Au titre de l’Assemblée, Jean-Jacques Urvoas est membre depuis août 2010 de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, autorité administrative indépendante créée par la loi du 10 juillet 1991. La CNCIS est chargée de veiller à la légalité des interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques.

En sa qualité de président de la Commission des Lois, il est l’un des 4 députés siégeant dans la Délégation parlementaire au renseignement, et à ce titre, dépose des amendements dans le cadre de la Loi de programmation militaire,afin d’élargir considérablement les prérogatives de la DPR qui est désormais chargée du « contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement » et de l’évaluation de la politique publique en ce domaine. Il préside cette structure en 2014 et publie un premier rapport de contrôle contenant 105 propositions destinées à réformer le monde du renseignement26.


Le Monde.fr | 24.06.2015 | Par Martin Untersinger

Les députés ont voté définitivement, mercredi 24 juin 2015, le projet de loi sur le renseignement.

Coïncidence : ce texte va élargir les pouvoirs des services de renseignement français, alors que l’indiscrétion de leurs homologues américains quant aux conversations des trois derniers présidents de la République faisait la « une » de la presse.

Les opposants au projet de loi ont vu dans ce télescopage des raisons de reculer et railleront ce gouvernement qui s’offusque d’être écouté tout en élargissant les pouvoirs des grandes oreilles nationales. Les partisans du texte, eux, ont été confortés dans l’idée de donner davantage d’armes aux services de renseignement, dont l’une des missions est précisément de museler la curiosité de leurs homologues étrangers.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/06/24/l-assemblee-s-apprete-a-voter-definitivement-la-loi-sur-le-renseignement_4660832_4408996.html#rq76kugmY2VsDLjw.99


Le Monde a publié dans son édition du jeudi 25 juin la tribune libre ci-dessous que Jean-jacques Urvoas a cosigné avec Michel Rocard.

Voltaire l’avait écrit : « les progrès de la raison sont lents et les racines des préjugés profondes ». Les débats sur l’actuel projet de loi encadrant l’activité des services de renseignement en sont la parfaite illustration. Légiférer en ce domaine n’est pas plus simple en 1991, date du premier texte organisant les écoutes téléphoniques, qu’en 2015.

Le sujet génère les phantasmes les plus tenaces, nourris par une absence de culture du renseignement dans notre pays, mais aussi par une représentation biaisée de leur utilité récemment nourrie par la révélation de la débauche technique déployée par l’idéologie de la capture qui caractérise la NSA. Les dernières preuves apportées par la presse française concernant une surveillance politique systématisée accroissent plus encore cette impression en même temps qu’elles éloignent toujours plus les services de renseignement américains des standards habituels et de ce que sont nos propres services de renseignement.

Plus que jamais, il est indispensable d’assurer à la fois la sécurité des individus et la protection des intérêts malmenés dans un système conflictuel et mondialisé où des entreprises sont devenues aussi puissantes et prédatrices que certaines entités nationales.

C’est donc le rôle premier de l’Etat que d’assumer cette dimension protectrice par l’action de ses services de renseignements, outils maintenant aussi indispensables que stratégiques. Le projet de loi l’affirme sans ambages. C’est en cela qu’il est triplement déterminant : pour les citoyens d’abord en leur garantissant l’exercice de leurs libertés individuelles et en leur ouvrant des voies de recours afin d’entraver les dévoiements ou d’annihiler l’arbitraire, ensuite pour les personnels qui servent dans ces administrations régaliennes afin de les protéger, et enfin pour l’Etat afin de clarifier son action.

En détaillant avec précision les missions des services de renseignement, le texte confère le cadre clair qui doit favoriser la prévisibilité de la loi. En confiant à une autorité administrative indépendante le soin de contrôler a priori et a posteriori la mise en œuvre des techniques de renseignement, il prolonge le modèle vertueux imaginé en 1991, après une condamnation de la Cour européenne des droits de l’Homme. En ouvrant la possibilité d’un recours devant le Conseil d’Etat, il créé de nouvelles garanties à nos concitoyens et fait pénétrer la force du droit au cœur de l’activité de l’Etat secret.

Dans nos « sociétés de l’information », la fonction séculaire du renseignement constitue un investissement d’avenir. Les services sont des outils indispensables à la prise de décision stratégique qui promeuvent une souveraineté non protectionniste mais protectrice. Ils participent à la sécurité et la stabilité de notre démocratie. Les efforts consentis en ce domaine ne résonnent ni comme des concessions ni comme des reculs ; ils témoignent au contraire de la maturité de notre Etat de droit. Une maturité trop attendue.


Voir en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-...




Messages

  • NUMERAMA Publié par Julien L., le Vendredi 24 Juillet 2015
    http://www.numerama.com/magazine/33786-loi-renseignement-les-principales-reactions.html

    Loi Renseignement : les principales réactions

    Le Conseil constitutionnel a validé la quasi-totalité du texte de loi sur le renseignement. Suite à cette décision, plusieurs réactions ont eu lieu dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Voici les principaux commentaires à retenir.

    Le Conseil constitutionnel a donc rendu sa décision sur la loi sur le renseignement. Sans surprise, le gros du texte a été approuvé, dont les boîtes noires. Seuls deux points ont été rejetés : d’une part la possibilité d’installer des moyens de géolocalisation ou d’écoute sans recourir à l’autorisation préalable du Premier ministre et à l’avis de la CNCTR et d’autre part les mesures de surveillance internationale.

    Évidemment très attendue au regard de la sensibilité du texte, l’analyse du Conseil constitutionnel a provoqué de nombreuses réactions depuis jeudi soir, date à laquelle la décision a été publiée. Voici les principales :

    LES PARTISANS SALUENT LA SAGESSE DU CONSEIL...

    Dans un communiqué publié sur le site de l’Élysée, François Hollande note que le Conseil juge cette loi "conforme aux droits et libertés" tout en donnant "aux services de renseignement des moyens modernes et adaptés à la menace à laquelle nous sommes confrontés". Prenant acte des articles censurés, le chef de l’État estime que leur retrait "ne modifient en aucune façon l’équilibre de la loi".

    Plus laconique, le premier ministre Manuel Valls a diffusé un tweet dans les minutes qui ont suivi la validation du texte par le Conseil constitutionnel. "La France a désormais un cadre sécurisé contre le terrorisme et respectueux des libertés. C’est un progrès décisif !", écrit-il.

    La satisfaction est aussi palpable chez les rapporteurs du texte.

    Pour le député Jean-Jacques Urvoas, qui a porté le texte à l’Assemblée nationale, "le Conseil constitutionnel ne retient aucun des griefs médiatiquement matraqués et valide quasiment-totalement la loi sur le renseignement". Et d’ajouter plus tard que le Conseil "a dit le droit. La loi sur le renseignement est conforme à la Constitution. Les libertés individuelles et collectives sont garanties".

    Au niveau du Sénat, Jean-Pierre Raffarin considère que les membres de la rue de Montpensier ont, "par leur avis, levé les inquiétudes quant à la loi sur le renseignement".

    LES OPPOSANTS PLEURENT l’État DE DROIT

    Évidemment, le son de cloche est tout autre du côté des opposants.

    La Quadrature du Net estime que cette décision "légalise la surveillance de masse et avalise un recul historique des droits fondamentaux". Décrite comme "extrêmement décevante", elle illustre la démission du Conseil "de son rôle de garant des droits et libertés" et "contribue ainsi à saper les fondements même de la démocratie". "La raison d’État s’est brutalement imposée à l’État de droit".

    Pour le Syndicat de la Magistrature, "la déraison d’État a fait son chemin jusque sous la plume du Conseil constitutionnel". Critiquant les "motivations péremptoires" pour approuver un système de surveillance massive des populations, le syndicat juge cette décision "désastreuse" : "la démocratie devrait pourtant être en berne : la France vient de faire le choix de la raison d’État contre les libertés".

    De son côté, l’avocat Rubin Sfadj, qui avait contribué à la rédaction d’un mémoire pour éclairer le Conseil constitutionnel, s’est fendu d’un billet de blog pour s’interroger : "la Vème République a-t-elle une Constitution ?". Décrivant lui aussi une décision "effroyable", "illisible" et "absconse", il s’interroge sur la réelle capacité du Conseil constitutionnel à remplir son rôle convenablement.

    Même réaction chez Amnesty International, qui écrit que cette conclusion "est un coup majeur porté à la vie privée et à la liberté d’expression en France". Dans son communiqué, qui revient en détail sur la loi et la décision du Conseil, "les mesures de surveillance désormais autorisées sont complètement disproportionnées. De larges pans de la population de la France pourraient bientôt se trouver sous surveillance pour des raisons obscures et sans autorisation judiciaire préalable".

    D’AUTRES RÉACTIONS ATTENDUES

    D’autres organisations, qui s’étaient mobilisées significativement contre la loi sur le renseignement, n’ont pas encore eu l’occasion de faire connaître leur point de vue.

    C’est notamment le cas de la Ligue des Droits de l’Homme, de Reporters Sans Frontières, le Centre d’Études sur la Citoyenneté, l’Informatisation et les Libertés, de Human Rights Watch, de l’ASIC, de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, de l’Union syndicale des Magistrats, du Conseil national du numérique ou encore de l’Ordre des avocats de Paris.

    Nous mettrons cette actualité à jour en fonction des réactions.

  • Chercheurs vs politiques (3/4). Terrorisme et surveillance : peut-on concilier sécurité et liberté ?
    http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/100815/chercheurs-vs-politiques-34-terrorisme-et-surveillance-peut-concilier-securite-et-liberte
    10 août 2015 | Par Joseph Confavreux

    Tout l’été, Mediapart et la Revue du Crieur diffusent des face-à-face entre celles et ceux qui décident de la vie de la cité et celles et ceux qui la pensent. La troisième rencontre oppose la juriste Antoinette Rouvroy à Patrick Mennucci, député socialiste, alors que le Conseil constitutionnel a validé, à la fin du mois de juillet, l’essentiel de la loi surveillance votée au printemps.

    Mediapart et la Revue du Crieur ont organisé, en partenariat avec le festival d’Avignon, quatre face-à-face entre une figure intellectuelle et une personnalité politique, pour confronter celles et ceux qui décident de la vie de la cité à celles et ceux qui la pensent, et ainsi mettre en discussion le pouvoir, qu’il soit exécutif ou législatif, avec le regard critique des intellectuels et les analyses des chercheurs de différentes disciplines.

    Le troisième débat qui s’est tenu sur le site Pasteur de l’université d’Avignon opposait Patrick Mennucci et Antoinette Rouvroy.

    Le premier est député socialiste de Marseille, membre de la commission des Lois, et rapporteur de l’enquête parlementaire sur le suivi des filières djihadistes commandée seulement quelques semaines avant les attentats de Paris en janvier 2015.

    La seconde est chercheuse au FNRS (l’équivalent belge du CNRS), rattachée au centre de recherche Information, droit et société de l’Université de Namur. Elle est aussi membre du comité de la prospective de la CNIL. Elle rédige actuellement un rapport sur le Big Data pour le Conseil de l’Europe et sur ses implications juridiques, techniques et philosophiques.

    La rencontre, d’environ une heure, suivie d’une discussion d’une vingtaine de minutes avec le public, est accessible sur le site de Mediapart et sur celui du Festival d’Avignon.

    Ce face-à-face s’intitulait « Terrorisme et surveillance : peut-on concilier sécurité et liberté ? » et prolongeait les débats qui ont eu lieu au printemps dernier sur la loi renseignement. La première question adressée à Patrick Mennucci, fervent défenseur de cette loi, portait donc sur les raisons qui l’avait poussé à voter en faveur d’une telle mesure.

    Rappelant que la loi renseignement n’est pas une conséquence directe des attentats de Paris de janvier 2015, mais de l’activité parlementaire préalable de Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois, Patrick Mennucci a estimé que cette loi permet de « garantir les libertés publiques parce que les services de renseignement sont désormais contrôlés par le Conseil d’État » et permet « à nos services de renseignement de travailler dans la légalité ». « Les hommes des services de renseignement agissaient très souvent hors d’un cadre législatif », souligne-t-il. « Nous avons, avec cette loi, mis les 3 000 hommes des services de renseignement dans une sûreté administrative. » Pour le député de Marseille, « cette loi ne donne pas des moyens beaucoup plus importants que ce qui existait, mais les met sous le contrôle du Conseil d’État » et constitue donc « une avancée démocratique ».

    Antoinette Rouvroy, qui étudie « les enjeux de pouvoir lié à la mise en nombres de la réalité, c’est-à-dire la numérisation du monde », aussi bien dans les domaines de la sécurité, que du marketing ou des recommandations à l’embauche, se dit, tout au contraire, profondément « perplexe » face à une telle loi. Pour elle, il y a « un abandon de la rationalité moderne qui expliquait les phénomènes par leur cause » au profit d’une « rationalité post-moderne, statistique, qui renonce à comprendre les causes des phénomènes et vise par le calcul, la mise en corrélation d’éléments qui n’ont pas de liens de causalité entre eux, à prédire, à prévoir, ce qui pourrait se produire ». Pour la chercheuse, vouloir ainsi « modéliser les comportements humains » se heurte à des limites aussi bien politiques que techniques, comme le soulignait déjà une note du 30 avril dernier émanant de l’Inria, le prestigieux Institut national de recherches en informatique qui étrillait le projet de loi surveillance en montrant que les mesures mises en place seraient inefficaces et obsolètes.

    Patrick Mennucci ne « retrouve pas dans cette critique ce qu’il y a dans la loi » et juge que les algorithmes ne vont pas saisir la totalité de ce qui se trouve sur le réseau, mais que cette loi permet de s’intéresser à des comportements anormaux, comme celui d’aller 150 fois sur un site djihadiste. « Pour nous l’algorithme va d’abord faire l’objet d’une demande du ministre, d’un avis de la Commission nationale d’interception qui va donner l’autorisation au premier ministre de signer la demande algorithmique. On n’est donc pas dans un grand immeuble à Paris place Beauvau avec des types derrière des ordinateurs pour observer les penchants sexuels des gens qui vont au Festival d’Avignon. On est dans la recherche du terrorisme. Point ! Et on est dans un État de droit, on n’est pas dans une dictature ! »

    « Il faut faire une distinction entre la capture des données, qui est la première étape, et cette première étape est absolument massive et c’est sur cette masse de données que fonctionnent les algorithmes », lui a répondu l’universitaire. Les algorithmes sont certes seulement comparables à « une recette de cuisine », mais l’important, ce sont les ingrédients que l’on utilise. D’autant qu’il serait, selon la chercheuse, faux de dire que les éléments et les ingrédients traités par les algorithmes sont inoffensifs parce qu’ils sont anonymisés. En effet, à l’ère de Big Data, il est aisé de ré-identifier des données censées être anonymes. La question est donc moins l’algorithme lui-même que les données qu’il mobilise.

    Pour le député de Marseille, il faut avoir « foi » dans l’État de droit, même si les « citoyens doivent être vigilants ». « Si un jour venait un dictateur, pensez-vous qu’il aurait besoin d’une loi pour appliquer les algorithmes ? » a-t-il demandé à son interlocutrice.

    Pour Antoinette Rouvroy, ce n’est pas la question. L’essentiel est le nouveau régime de rationalité qui trie les individus entre « dangereux et non dangereux » en remplaçant la subjectivité, du policier par exemple, par l’automaticité des machines. On croit enlever les facteurs d’incertitude avec un semblant d’exhaustivité numérique. « Pour se prémunir de l’incertitude, la cible du pouvoir est en train de changer. La cible du pouvoir n’est plus l’actuel, ce qui se passe – on n’est plus dans une logique de droit pénal où on poursuit les infractions commises. On glisse vers une logique de renseignement où la cible est la potentialité pure, non plus même un risque identifié, mais le fait que les individus ne font pas toujours ce dont ils sont capables. » Ainsi, on ne tolère plus de différences entre ce qui est fait et ce qui est attendu. Pour elle, cette logique de préemption empêche une logique de prévention, parce qu’on abandonne alors jusqu’à la logique causale des phénomènes.

    « Ce dont vous parlez ne concerne ni la loi renseignement ni la République française », lui a répliqué Patrick Mennucci. « On ne va pas trier les individus non dangereux, on va aller chercher les individus dangereux », a-t-il ajouté, en précisant que ce n’est pas ce qui est fait sur un site qui est repéré, mais le seul fait d’aller de manière récurrente sur un site, par exemple djihadiste. Et qu’il faut également se rappeler que « nous sommes dans un moment extrêmement dangereux pour la République et pour la Nation et que nous avons des ennemis qui nous ont désignés comme cible ».

    Antoinette Rouvroy est d’accord sur le fait qu’il ne s’agit plus du tout de « catégorisation » des individus. Mais, précise-t-elle, « on en passe par quelque chose de bien pire, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de catégorisation a priori, donc ce qui se dissout, c’est à la fois la visibilité des critères et leur contestabilité ». En outre, ajoute-t-elle, par rapport au danger du terrorisme, il faut des mesures efficaces et cela touche le principal reproche qu’elle adresse à cette loi. En effet, « il suffit d’un VPN » pour contourner toute la traçabilité des adresses IP mise en place par la loi surveillance. « Sur le plan technique, c’est nul, tranche-t-elle donc. Tout cela donne une fausse impression de sécurité. Et du coup, c’est disproportionné. On pourrait tolérer des atteintes à la protection de la vie privée dans la mesure où elles sont nécessaires et proportionnées. » Mais « quand l’efficacité du dispositif pèche, on a le sentiment que le gouvernement donne l’impression qu’il s’agite seulement pour rassurer les gens ».

    Patrick Mennucci a répondu en jugeant que « nous sommes face à un terrorisme, ou des gens qui veulent aller vers le terrorisme, qui n’est pas ce que nous avons connu par le passé ». Ce terrorisme moins centralisé, davantage déterritorialisé qu’avant le 11-Septembre, appelle, selon lui, de nouveaux types de réponses. Pour le député de Marseille, « bien sûr qu’il existe une possibilité de cacher son adresse IP, moi-même je sais le faire ! Mais nous pensons que des milliers de types qui se connectent à ces sites ne le savent pas. Et pour ceux qui le savent et le font, on ne se sert pas des algorithmes. Pour ces gens-là, nous avons des forces spéciales sur le terrain, des interceptions internet, des gens qui sont dans Daech et qu’on paye pour nous donner des informations ». « C’est parce que nous sommes la République, parce que nous sommes laïques que nous sommes les premiers à être attaqués », a-t-il conclu sa prise de parole, en rappelant que les algorithmes ne sont qu’un élément de la loi surveillance.

    Antoinette Rouvroy lui a répondu que l’article sur les algorithmes est le « point de bifurcation de cette loi », tout en reconnaissant que cette loi renseignement n’a rien à voir avec un régime orwellien. « On est très loin d’une idée de Big Brother, c’est-à-dire d’un système très centralisé assumé par une figure concrète. » Comment alors désigner ce régime de surveillance massif mais qui n’emprunte pas les traits orwelliens de Big Brother ? L’auteur Alain Damasio disait par exemple qu’il fallait moins parler, dans l’ère post-Snowden, de Big Brother que de Big Mother, parce que l’individu serait moins soumis au joug de la surveillance qu’il ne l’embrasserait, voire la co-produirait, ne serait-ce qu’avec son usage actif des smartphones et des réseaux sociaux…

    Pour la chercheuse, « c’est le réel enregistré statistiquement qui va déterminer, par lui-même, les catégories de dangerosité et d’acceptabilité. Donc on n’est plus dans quelque chose qui s’impose d’en haut. L’inquiétude, c’est la dépolitisation, cette immanence qui vient avec une forme d’horizontalisation du pouvoir ». On n’est pas dans un pouvoir « censeur », au sens où il faut que les individus se sentent libres, en particulier de communiquer, mais, estime la chercheuse, « les gens ont tendance à s’autocensurer, à inventer par eux-mêmes les normes qu’ils croient qui leur sont appliquées ».

    Dans un article paru dans le premier numéro de la Revue du Crieur, le philosophe Grégoire Chamayou s’est glissé dans la tête de la NSA et rappelle notamment une phrase glissée par son ancien directeur, Michael Hayden, dans l’entre-soi d’un think tank de Washington : « Je crois que nos dirigeants ont beaucoup trop cherché à justifier les activités de la NSA sur une base étroitement antiterroriste. Une telle justification est tout simplement inadéquate au regard de ce que font les États-Unis. Nous avons beaucoup d’autres motivations […] liées à la souveraineté étatique. »

    En France comme aux États-Unis, toute cette surveillance vise-t-elle à véritablement lutter contre le terrorisme, ou est-on finalement dans un registre ayant plutôt trait à la souveraineté étatique, voire à la guerre économique, comme l’ont montré les dernières révélations de Wikileaks, Mediapart et Libération ?

    Patrick Mennucci a répondu qu’il n’était pas juste de comparer la loi surveillance avec les pratiques de la NSA. « Ce que fait la NSA, la France ne le fait pas. » Il a aussi refusé l’idée qu’il y ait eu une quelconque suspension de l’État de droit, puisque la procédure parlementaire et le Conseil constitutionnel ont accompagné la démarche légitime avec laquelle s’est élaborée cette loi. « Nos ennemis veulent démontrer que nous sommes comme eux, que dans la lutte contre le terrorisme, nous allons abandonner nos principes. Or, nous n’abandonnons pas nos principes parce que nous intégrons toujours la dimension judiciaire, la possibilité de recours face à des décisions d’État. Il faut bien comprendre que les attaques portées sur ces questions le sont sans doute de bonne foi, mais sont reprises sur les sites djihadistes pour montrer que la France est un État dictatorial. »

    Antoinette Rouvroy a conclu son intervention en rappelant qu’elle n’avait pas parlé de suspension de l’État de droit, mais, tout au contraire, évoqué le danger qu’il y avait à ce que le droit « absorbe l’État d’exception ».

  • Amnesty International [17/03/2015]
    10 Questions sur la surveillance de masse

    http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Liberte-expression/Actualites/10-Questions-sur-la-surveillance-de-masse-14563

    Les révélations d’Edward Snowden ont confirmé ce que beaucoup soupçonnaient : des états ont développé de manière dramatique leurs pratiques de surveillance de masse, dans une absence quasi-totale de transparence. Mais qu’entend-on par surveillance de masse ? 10 questions pour mieux comprendre et se comprendre.

    QU’ENTEND-ON PAR SURVEILLANCE ?

    La surveillance est l’espionnage des communications, des actions ou des déplacements d’une personne par un gouvernement, une entreprise, un groupe ou un particulier.
    QU’ENTEND-ON PAR SURVEILLANCE DE MASSE ?

    La surveillance de masse non ciblée est l’espionnage des communications électroniques et téléphoniques d’un grand nombre de personnes, parfois de pays entiers, en l’absence de charges suffisantes.
    QUAND LA SURVEILLANCE EST-ELLE LEGALE ?

    De manière générale, lorsqu’elle est ciblée, fondée sur des soupçons plausibles d’actes répréhensibles, et autorisée par une autorité strictement indépendante, comme un juge.
    LA SURVEILLANCE DE MASSE EST-ELLE LÉGALE DANS CERTAIN CAS ?

    Non.

    A découvrir : la campagne UnfollowMe, stop à la surveillance de masse
    QUI SONT LES "CINQ YEUX" ?

    L’expression « Cinq yeux » fait référence à une alliance conclue entre l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis en matière d’échanges d’informations.
    QU’EST-CE QUE LA NSA ?

    La National Security Agency est l’agence américaine chargée de rassembler et d’analyser les renseignements et les données.
    QU’EST-CE QUE LE GCHQ ?

    Le Government Communications Headquarters est le service de renseignement électronique du gouvernement britannique.
    DES GOUVERNEMENTS M’ESPIONNENT-ILS ?

    Si vous vous servez d’Internet ou d’un téléphone portable, la réponse est sans doute « oui ». Des programmes comme Prism et Upstream (gérés par la NSA) et Tempora (géré par le GCHQ) auraient accès aux données de Google, Microsoft, Facebook et autres compagnies privées. Elles se connecteraient aux câbles à fibres optiques par lesquels transitent les communications électroniques internationales.
    QUEL TYPE DE DONNÉES RECUEILLENT-ILS ?

    La NSA et le GCHQ ont de puissants programmes de surveillance qui stockent et analysent les historiques des navigateurs, les recherches en ligne, les courriels, les messages instantanés, les conversations par webcams et les appels téléphoniques. Ils réunissent également des métadonnées (données sur les données), parmi lesquelles les destinataires des courriels, les heures d’appel et des données de localisation.
    QUE DEVIENNENT CES DONNÉES ?

    Elles sont stockées dans de gigantesques centres de traitement où elles peuvent être examinées et analysées par des algorithmes informatiques. Elles sont également mises à la disposition des employés des agences de sécurité des « Cinq yeux » au moyen de bases de données puissantes comme XKeyscore. Les services de renseignement de 41 pays ont un accès plus ou moins ouvert à ces informations.
    EN QUOI LA SURVEILLANCE DE MASSE EMPIÈTE-T-ELLE SUR NOS DROITS HUMAINS ?

    Il s’agit d’une violation grave de notre vie privée qui entrave également la liberté d’expression, les gens étant moins enclins à communiquer librement dès lors qu’ils se savent surveillés.

    L’ absence de contrôle des pratiques d’accès aux données personnelles a déjà donné lieu à des abus : harcèlement de militants, journalistes, défenseurs des droits humains.

  • Ouest-France 16/11/2013
    http://www.ouest-france.fr/bretagne/quimper-29000/attentats-de-paris-le-depute-urvoas-letat-durgence-pour-trois-mois-3845960

    J.-J. Urvoas veut « toiletter » l’état d’urgence
    Rapporteur de la récente loi sur le renseignement, Jean-Jacques Urvoas est au cœur de la réflexion sur la lutte antiterroriste.
    Entretien
    Jean-Jacques Urvoas,
    député PS du Finistère, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, spécialiste du renseignement.
    Décrété dans la nuit de vendredi à samedi, au moment des attentats, l’état d’urgence sera donc prolongé de trois mois ?
    Oui, nous allons prolonger l’état d’urgence de trois mois. Une loi sera présentée mercredi matin au conseil des ministres. Elle sera ensuite étudiée mercredi après-midi en commission des lois de l’Assemblée et débattue en séance jeudi matin. L’état d’urgence est régi par une loi de 1955, dite loi Edgar Faure. Certaines dispositions contenues dans le texte ne valent plus aujourd’hui. J’ai proposé au président de la République dimanche de la « toiletter ». Il en a convenu.
    Vous avez récemment fait voter une nouvelle loi sur le renseignement. Elle n’est pas encore totalement mise en œuvre. Ce texte empêchera-t-il de nouveaux attentats ?
    Celles et ceux qui évoquent le risque zéro sont des marchands d’illusion. Je ne suis pas de ceux-là. Le texte voté n’est effectivement pas encore totalement en application. Pour l’heure, 5 décrets sur 12 prévus ont été pris. Cela est lié à la mise en place des nouvelles techniques de collecte des informations. On souhaitait que celles-ci soient opérationnelles avant l’application du texte. Vous parlez de l’utilité de la loi, et je réponds que tout est toujours utile. Aujourd’hui, l’activité judiciaire est importante. Nous avons 147 personnes détenues qui sont liées au djihadisme, 212 personnes mises en examen et 172 enquêtes judiciaires sont ouvertes concernant les filières terroristes.
    Vendredi soir à Paris, les terroristes étaient armés de Kalachnikov. Il est possible que ces armes viennent notamment des Balkans. Avez-vous des éléments allant dans ce sens ?
    Le président devait faire une déclaration ce lundi 16 novembre contre le trafic d’armes. Leur provenance sera à déterminer. Mais oui, elles peuvent provenir des Balkans.
    La France bombarde Daesh en Syrie. Qui finance cette organisation terroriste ?
    Déjà Daesh lui-même… Ils ont des puits de pétrole. C’est pourquoi certains sites pétroliers ont déjà été visés. Pour tenter de leur couper les vivres…
    Recueilli par Mickaël DEMEAUX.

  • Le Télégramme 17 novembre 2015

    Jean-Jacques Urvoas : « Il n’y a pas de risque zéro »

    © Le Télégramme - Plus d’information sur http://www.letelegramme.fr/france/jean-jacques-urvoas-il-n-y-a-pas-de-risque-zero-17-11-2015-10852343.php

    À l’origine de la loi sur le renseignement, le député PS du Finistère, Jean-Jacques Urvoas, estime qu’en dépit du renforcement des mesures de sécurité, il n’est pas possible de prévenir tout type d’actes de terrorisme.

    On s’interroge beaucoup sur l’efficacité des fiches S. À quoi servent-elles vraiment ?

    Il ne faut pas prêter à ce fichier des responsabilités qu’il n’a pas. Ces fiches S sont une des 21 catégories du fichier de personnes recherchées créé en 1969. Ces fiches sont des outils de travail, ce ne sont pas des dossiers d’interpellation. Ce sont des éléments de police. On ne peut pas leur prêter toutes les vertus. Il y a même plusieurs niveaux de fiche S. Mohamed Merah avait une fiche S5, ce qui veut dire qu’on devait faire un signalement s’il passait une frontière.

    Nicolas Sarkozy propose que l’on mette un bracelet électronique à tous ceux qui sont fichés S. Qu’en pensez-vous ?

    On ne va pas mettre un bracelet à quelqu’un sur lequel on n’a que des suspicions. La fiche S est justement destinée à nourrir la suspicion pour déboucher sur des interpellations. Les personnes fichées S ne le savent pas puisqu’on les surveille. Par ailleurs, sur les 10.000 personnes qui sont fichées S, toutes ne sont pas des radicaux jihadistes. Rappelons aussi qu’un bracelet électronique correspond à une condamnation, donc à une décision de tribunal.

    La loi sur le renseignement est-elle suffisante ?

    La loi sur le renseignement est utile tous les jours (*). On parle de ce qui est arrivé mais il y a actuellement en prison 147 personnes pour leur implication dans les filières irako-syriennes, 212 mises en examen, 172 enquêtes judiciaires, 370 interpellations. Tout cela est possible parce que nous avons donné un cadre juridique aux services de renseignement. Mais je ne suis ni un marchand d’illusions ni un promoteur de l’État policier. Du coup, les moyens sont encadrés.

    Comment lutter efficacement contre le terrorisme ?

    On passe notre temps à lutter contre le terrorisme. Emprisonner des Français qui reviennent de l’étranger après avoir pris part à des opérations terroristes, ce n’était pas possible avant la loi du 21 décembre 2012. Aujourd’hui, ils sont 133 incarcérés pour ce motif. Empêcher les départs, ce n’était pas possible avant la loi du 13 novembre 2014. 190 personnes sont actuellement interdites de sortie du territoire mais on ne peut pas interpeller des gens au motif qu’ils ont été en voyage. Il faut être sûr des incriminations.

    Mais n’y a-t-il pas, quand même, des failles ?

    Soit on fait de l’illusion, soit on fait un État policier. Un individu qui vole une voiture et la bourre d’une bonbonne de gaz, je ne connais pas de moyen de prévenir ça. Le risque zéro n’existe pas. La démocratie, ça demande du courage.

    Propos recueilli par Yvon Corre

    * Cinq des douze décrets d’application de la loi ont pour l’instant été publiés. Les sept autres le seront d’ici à la fin de l’année

    • Il n’y a pas de risque zéro,mais le pourcentage de risque augmentait depuis les attentats de Charlie Hebdo .
      Le pourcentage de risque avait alors atteint 50% . Monsieur Jean-Jacques Urvoas réputé pour ses talents d’analyste politique et de Droit Constitutionnel aurait dû savoir que les services de renseignements étaient dépassés puisque, depuis longtemps, 7000 suspects sont à surveiller . En janvier 2015,on savait déjà que
      1200 ressortissants français avaient rejoint le djihad dans l’Etat Islamique en Syrie . Dans ces conditions après
      l’attentat de Charlie Hebdo le 07/01/2015,le Gouvernement Français aurait dû demander l’application de
      l’article 2.2 des Accords de Shengen qui prévoient le recours possible à la clause de sauvegarde . Cette dernière permet qu’en cas de menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale,l’Etat peut rétablir des contrôles frontaliers pendant une période limitée . Pendant les migrations,7000 combattants djihadistes seraient rentrés en Europe .

  • « Le jour où il y aura des backdoors dans les logiciels, il n’y aura plus de vie privée »

    https://www.01net.com/actualites/le-jour-ou-il-y-aura-des-backdoors-dans-les-logiciels-il-n-y-aura-plus-de-vie-privee-1556783.html

    Responsable cybersécurité au sein de l’Electronic Frontier Foundation, Eva Galperin nous explique pourquoi il faut craindre les lois sur les backdoors. Et pourquoi Protonmail n’est pas la panacée pour communiquer en toute sécurité.

    Rédaction de guides de sécurité, analyse de logiciels espions, organisation d’un concours de création de nœuds Tor… Quand il s’agit de lutter contre la surveillance étatique et de promouvoir la sécurité des données, Eva Galperin ne ménage pas ses efforts. C’est pourquoi elle occupe aujourd’hui le poste de directrice de la cybersécurité au sein de l’Electronic Frontier Foundation (EFF), la célèbre association américaine de défense des droits civiques et numériques.

    Quand elle parle, elle adopte forcément un ton très militant, à la fois péremptoire et nonchalant. Un curieux mélange qui peut surprendre au début. Mais quand on aborde le sujet des backdoors logicielles, le visage s’assombrit sensiblement. « C’est clairement l’une des plus grandes menaces pour la sécurité et la protection des données personnelles aujourd’hui », nous explique-t-elle, de passage à Barcelone pour une conférence organisée par Kasperky Labs.
    L’idée des backdoors fait son chemin

    Il faut dire que cette idée continue de faire son chemin et engrange ses premiers succès. « La Russie a déjà adopté une loi sur les backdoors. L’Australie est en train d’en examiner une. Le Brésil s’y intéresse aussi. Aux Etats-Unis, les FBI n’arrête pas de pousser en ce sens. Ce sujet n’est pas l’apanage des pays autoritaires. C’est une menace réelle partout dans le monde. Le jour où il y aura des backdoors dans les logiciels, il n’y aura plus de vie privée et de sécurité des données », estime-t-elle.

    Certes, il y aura toujours une poignée d’informaticiens barbus qui pourront se bricoler des outils de communication sans porte dérobée, à coup de logiciels open source par exemple. Mais pour la masse des gens, la partie sera perdue. « Je ne me bats pas pour les adeptes de la ligne de commande, mais pour tous les gens. Evidemment, vous pouvez toujours avoir une confiance aveugle en votre gouvernement, pourquoi pas, mais qu’en est-il des autres gouvernements qui pourront également accéder à vos conversations ? Ou des cybercriminels qui pourraient mettre la main sur la porte dérobée ? », souligne-t-elle.
    L’e-mail, un outil de communication obsolète

    Pour autant, Eva Galderin n’est pas contre tout de forme de surveillance. « Certaines formes de surveillance ciblée sont légitimes, quand il s’agit d’observer une organisation criminelle par exemple. Mais cela doit se faire de manière justifiée et proportionnée. A ce titre, nous avons établi en 2013 une liste de 13 principes que les gouvernements devraient respecter pour ce type de surveillance », indique-t-elle. Aux personnes qui veulent communiquer de manière sécurisée, elle recommande de laisser tomber une bonne fois pour toute l’e-mail classique et d’utiliser des messageries avec chiffrement de bout en bout telles que Signal, WhatsApp ou Keybase. « On peut presque tout faire au travers de ces nouveaux services de messagerie. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de raison valable d’utiliser l’e-mail qui, pour être sécurisé, nécessite l’utilisation de PGP. Mais c’est très compliqué en raison de la gestion des clés », explique-t-elle.

    Même Protonmail, qui revendique pourtant un chiffrement de bout en bout en PGP, ne trouve aucune grâce à ses yeux. « Le problème, c’est que Protonmail stocke votre clé privée. Même si cette clé est d’abord chiffrée en local par l’application web de Protonmail avant d’arriver sur leurs serveurs, il est toujours possible que cet éditeur soit contraint par les forces de l’ordre de modifier son code pour quand même accéder à votre clé privée. Pour avoir un bon niveau de protection, il faut que le clé privée reste sur le terminal. Certes, Protonmail est meilleur que Gmail au niveau de la protection des données personnelles, mais ce service donne une fausse impression de sécurité », souligne-t-elle.
    Le RGPD est une loi imparfaite

    Sur les sujets politiques, Eva Galperin a également des idées bien arrêtées, en particulier sur les récents processus législatifs européens. Le RGPD « va dans le bonne direction car il faut une certaine régulation, mais cette loi est trop vague et contient trop de failles juridiques. Au final, les entreprises ne savent pas à quoi s’en tenir. Aucune d’entre elles ne sait vraiment si elle respecte le RGPD ou non. Quant aux utilisateurs, ils ne voient qu’un seul changement : la répétition d’alertes de consentement », poursuit-t-elle.

    Elle montre par ailleurs une opposition ferme à la nouvelle directive sur le droit d’auteur, en particulier l’article 11, qui crée un droit voisin pour les éditeurs de presse, et l’article 13, qui peut contraindre les grandes plates-formes à mettre en place des dispositif de filtrage. Sur ce sujet, l’EFF s’est paradoxalement retrouvé dans le même camp que Google. « C’est vrai, nous nous retrouvons sur ce combat, mais pas pour les mêmes raisons. En ce qui nous concerne, nous pensons que les dispositifs de filtrage sont une très mauvaise idée. Une loi ne devrait pas introduire des outils de surveillance sous prétexte d’une protection des auteurs car il y a le risque d’une dérive au détriment de la liberté d’expression. Il serait plus judicieux de créer des accords de licence entre les plateformes et les ayant-droits », estime-t-elle.
    Vaincre le « capitalisme de la surveillance »

    Enfin, Eva Galperin espère que le glas sonnera bientôt pour les modèles économiques basés sur la collecte de données personnelles. Un système qu’elle appelle le « capitalisme de la surveillance » et qui n’est pas loin de l’arnaque dans la mesure où ces produits attirent les utilisateurs avec la gratuité sans vraiment montrer le commerce sous-jacent. « Les choses sont en train de changer. De nouveaux modèles se mettent en place, à commencer par le moteur de recherche Bing. C’est une alternative à Google qui n’est pas dans le capitalisme de la surveillance. Microsoft vend des logiciels, pas des publicités. Le navigateur Brave est un autre exemple. Ce n’est pas la fin des expériences. Il y aura toujours des opportunités tant qu’il y aura une demande de la part d’utilisateurs prêts à payer pour garder le contrôle sur leurs données », ajoute-elle. Car au final, la protection des données personnelles est avant tout une démarche individuelle. « Chacun a une perception différente et des besoins différents. L’essentiel, c’est que les utilisateurs puissent agir en connaissance de cause et en parfaite liberté. »



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